Pour les lois en vigueur dans les trente glorieuses, la personne handicapée est considérée comme déficiente. Quel que soit le handicap, la société voit la personne handicapée comme infirme et son intégration est difficile, voire inexistante. C’est à partir des années 1960 que la France prend conscience de la condition de vie des personnes handicapées. Le mouvement de mai 1968 ne sera pas non plus étranger à l’émancipation des individus et à l’évolution des politiques sur les questions de société.

La législation du 30 juin 1975 présentée par Simone Veil, Ministre de la santé du gouvernement dirigé par Jacques Chirac, ouvre la voie vers l’obligation nationale d’intégration des personnes handicapées. Influencées par les associations nationales d’amis et parents de personnes handicapés[1], les deux lois instituent les cadres de référence qui créent la politique du handicap. Ces textes permettent aussi de consolider et de rendre cohérents des dispositions législatives et règlementaires générées depuis près d’un siècle et déclinées par un trop grand nombre de ministères et d’administrations.
Il convient également de rappeler que les lois du 30 juin 1975 voulaient être le corollaire social de la loi sanitaire du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière. Cette dernière établissait une séparation entre les établissements à caractère sanitaire chargés de l’exécution du service public hospitalier et les établissements à caractère social. Ainsi, les lois du 30 juin 1975 consacrent l’existence d’un secteur participant à la fois du sanitaire et du social : le secteur médico-social.

On analyse aujourd’hui ces lois comme étant les premières en France qui mettent en œuvre des mesures de discrimination positive se traduisant par le fait de « donner plus à ceux qui ont moins » afin de rattraper leur retard. Cela fait penser à la définition du handicap à l’anglaise, où en sport, on inverse la logique en donnant du retard à ceux qui sont plus forts afin d’être équitable avec les autres concurrents. C’est l’introduction du principe de justice défini par John Rawls (1921-2002). Ce philosophe libéral américain, Professeur à Harvard, publie en 1971 sa célèbre « Théorie de la justice » dans laquelle il défend une société basée sur une justice redistributive qui réduirait les inégalités.

Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées

Dans son article 1er, elle définit :

  • les objectifs thĂ©matiques : « La prĂ©vention et le dĂ©pistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intĂ©gration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapĂ©s physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale. »
  • les moyens de mise en Ĺ“uvre : « Les familles, L’État, les collectivitĂ©s locales, les Ă©tablissements publics, les organismes de sĂ©curitĂ© sociale, les associations, les groupements, organismes et entreprises publics et privĂ©s associent leurs interventions pour mettre en Ĺ“uvre cette obligation en vue notamment d’assurer aux personnes handicapĂ©es toute l’autonomie dont elles sont capables. »

La loi confie la reconnaissance du handicap à deux commissions départementales :

  • les CDES, Commissions dĂ©partementales de l’éducation spĂ©ciale, pour les jeunes de 0 Ă  20 ans, qui oriente les mineurs vers les Ă©tablissements IME, ITEP, IES…[2]
  • la COTOREP, Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, pour les adultes Ă  partir de 20 ans, qui regroupe tous les intervenants du handicap et a deux fonctions :
  • Orientation des adultes vers les Ă©tablissements MAS, CAT, FO ou FV…[3]
  • Attribution de la qualitĂ© de travailleur handicapĂ© et des prestations compensatoires.

Dans ces prestations, est créée l’Allocation adulte handicapé (AAH) qui doit permettre d’éloigner les personnes qui en bénéficient de la pauvreté. Enfin, cette loi d’orientation met l’accent sur le fait que les handicapés ne doivent plus dépendre de la solidarité familiale mais de la solidarité nationale.

Loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales

Dans son article 1er, elle définit les établissements médico-sociaux, gérés par des organismes publics ou privés, et notamment ceux qui : « assurent, en internat, en externat, dans leur cadre ordinaire de vie, l’éducation spéciale, l’adaptation ou la réadaptation professionnelle ou l’aide par le travail aux personnes mineurs ou adultes, handicapées ou inadaptées. ». Cette loi réglemente les conditions de création, de financement par l’État et/ou la Sécurité sociale des établissements et services, ainsi que la formation et le statut du personnel qui y sont employés.

L’arrivé de la gauche au pouvoir en 1981 va se traduire par une nouvelle politique au profit des collectivités locales en 1982 et 1983. C’est le domaine de l’aide et de l’action sociale qui a connu la décentralisation la plus poussée. La loi de du 22 juillet 1983[4] confie aux Conseils généraux une compétence de droit commun en matière d’aide sociale légale et en matière de prévention sanitaire. Concernant les établissements médico-sociaux, le partage des compétences confie au département, au titre de l’aide sociale, les frais d’hébergement des adultes au sein des différentes structures existantes (Foyers de vie ou maisons de retraite…), à l’exception des MAS, des CAT et des ateliers protégés.

Concernant l’autorisation pour la création ou l’extension des établissements, en l’occurrence des Foyers de vie, les Commissions régionales des institutions sociales et médico-sociales (CRISMS) donnent un avis sur leur opportunité quant à leur qualité et à leur adaptation aux besoins. Les CRISMS dont l’avis était seulement consultatif sont remplacées par les Commissions régionales de l’organisation sanitaire et sociale (CROSS) dont l’avis devient obligatoire avec la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière.

Les deux lois de 1975 vont permettre un fort développement du secteur médico-social en faveur personnes handicapées qui ont besoin d’une protection particulière, et dont la satisfaction ne peut pas être laissée à la seule économie de marché.


[1] Il s’agit principalement de l’APF depuis 1933, de l’UNAPEI depuis 1960 et de l’APAJH depuis 1962.

[2] Instituts : médico-éducatifs, thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, d’éducation sensorielle

[3] Maisons d’accueil spécialisées, Centres d’aide par le travail, Foyers occupationnels ou de vie

[4] Loi n° 83-663 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État